Description
EXTRAITS/
Bret vivait avec sa fille à la lisière du village. Il avait connu le veuvage très tôt : sa femme était morte peu de temps après avoir accouché et Béatrice demeura son unique enfant. D’ailleurs, Bret ne la considérait plus comme sa fille depuis longtemps : cette laideronne de trente ans incarnait un mélange de maîtresse de maison et de journalier. Élancée, anguleuse et ossue, Béatrice faisait tout au même titre que son père, lui-même maçon et charpentier ; et lorsqu’elle dissimulait sa tresse dans son col, qu’elle revêtait son long tablier de cuir et prenait en main la hache, elle se muait alors en un véritable gaillard.
Teigneux invétéré, vêtu de haillons, dans sa tignasse hirsute et sa barbe poisseuse, Cruchon inspirait aux insulaires, une foule de sentiments dont aucun n’était imprégné d’une once d’amour fraternel ou au moins d’indulgence. On le raillait, on le repoussait en le chassant à coups de bâtons et d’épieux, on lui jetait des pierres, une fois même, on l’arrosa d’eaux usées, alors qu’il dormait.
Un tel rejet s’expliquait, non seulement par son état bestial, mais aussi par ses manières. Sa fourberie préférée consistait à surgir en traître et à manigancer une vilaine plaisanterie, par exemple : baisser son pantalon et exhiber son maigre derrière, pas lavé depuis des lustres…
Le monastère prit rapidement des allures d’eaux stagnantes. Rarement un événement venait rompre son existence routinière et somnolente, et les frères avaient du mal à se souvenir des jours où, étant jeunes moines, ils se frappaient le poitrail avec ferveur, prononçant des vœux monastiques de résignation, d’ascèse et de hautes pensées.
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