Description
Je me souvenais de mon job d’été à la banque, au service du « Portefeuille ». L’agencement en était très scolaire. Les employés disposaient chacun d’un bureau qui faisait face à ceux du chef et du sous-chef du service. Dès qu’une tête osait se distraire de sa tâche elle croisait le regard réprobateur des chefs qui perçait sous d’épaisses lunettes d’écaille. Chaque employé classait consciencieusement chèques et effets de commerce. En fin de journée, il me revenait de marquer le dos de milliers de chèques du cachet de la banque, à la date du jour. J’étais l’opérateur d’une machine industrielle qui obéissait à la pression d’une pédale souple. Mon index agile, maintenu humide par la caresse cadencée d’une petite éponge ronde faisait défiler sans à-coups les chèques sous le tampon qui crachait son encre en heurtant le papier. Éloigné du monde lisse et feutré des guichets et des bureaux en contact avec la clientèle, dans ma cabine au fond du service, je pouvais lâcher les chevaux de mon engin mécanique et croire que je travaillais à la chaîne dans un atelier d’emboutissage.
Je sortais de là, à dix-huit heures, le cerveau lessivé. Je n’aspirais qu’à marcher librement dans la grande avenue au milieu des foules qui se croisaient. Je rêvais d’horizons exotiques en fendant le courant ininterrompu de ces visages anonymes et figés. Tout le monde était pressé d’arriver quelque part. Moi, j’errais. Je me jouais des courants de foules qui s’opposaient en se mêlant sans heurts. Ma solitude hébétée surnageait au milieu de la masse. La multitude ne m’agressait pas. Je baignais dans la foule et je voulais dire « et moi, et moi ». Frustré de moi par une journée loin de moi.
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