Description
Madame le professeur de français,
Il y a de si nombreuses années (mais je m’en souviens comme si c’était ce matin même) vous êtes entrée pour la première fois dans notre classe du lycée, perdu entre mer et collines aux confins de la banlieue nord, et en cette journée ensoleillée de septembre vous avez fait sensation.
Vous étiez belle, vraiment belle, d’une beauté si évidente et si inattendue dans ce lieu d’étude, que le silence s’est soudain imposé comme la seule réponse possible à notre heureuse et totale surprise.
Vous vous êtes dirigée doucement vers ce qui allait être votre bureau en passant magnifiquement devant le tableau noir, pendant que plusieurs garçons se précipitaient dans une course burlesque pour arriver les premiers et avoir l’honneur d’épousseter la chaise en bois sur laquelle vous alliez vous asseoir. Il ne fallait surtout pas que votre tailleur attrape la poussière de craie blanche qui y avait élu reposoir.
Vous n’étiez pas que belle ; nous avons vite appris que vous saurez également nous faire aimer la langue française, superbe elle aussi. Nous tous, amoureux de la France, pays mythique et magnifié, géographiquement lointain et pourtant rendu si proche par notre insatiable soif de nous approprier un peu de son incomparable culture, avions à cœur, cancres compris, de ne pas vous décevoir et les rédactions de français devenaient au fil des semaines l’occasion de recevoir de votre bouche et de vos yeux un assentiment qui nous rendait tout à la fois fiers et heureux.
Et puis un jour, moi le rêveur, parti la bonne moitié du temps dans la contemplation des grands goélands qui venaient nous narguer jusque sous les fenêtres de la classe en tournant dans le ciel immense et en racontant des contes venus d’ailleurs, je vous ai rendu un devoir complètement hors sujet. C’était le tout début de la narration qui va suivre, une histoire d’amour contrarié, absolu et dérisoire que j’avais bâclée en trois pages et qui n’avait rien à voir avec le thème que vous nous aviez donné. J’avais eu envie de m’échapper en suivant une plume buissonnière.
Vous avez rendu les copies et, au moment de me remettre la mienne, vous avez dit que vous ne m’aviez pas noté. Un élève, heurté par votre mansuétude, a protesté :
« Pourquoi ne pas mettre un zéro ?! »
Avis
Il n’y a pas encore d’avis.